In the footsteps of Loomy : Destination Morocco

In the footsteps of Loomy : Destination Morocco

Vertu

Loomy est un personnage venu d’une autre planète où la valeur des individus se mesure à leurs capacités à tisser des liens entre les êtres.

Loomy et ses congénères sur la planète-océan Waiteuteu

Planète

La sociologie des habitants de la planète d’où vient Loomy sera construite à partir d’une ethnographie des sauveteurs côtiers du club messangeot Waiteuteu. Waiteuteu étant une planète-océan, c’est le rapport de ses habitants à l’eau qui a défini leur mode de relation au monde. Comment les sauveteurs habitent l’océan et comment l’océan habite les sauveteurs sera la question centrale de cette ethnographie.

Sociologie construite sur une ethnographie des sauveteurs côtiers du club messangeot Waiteuteu

Morphologie

Loomy est un cadre à tisser portatif et anthropomorphisé fabriqué par la société Mirrix aux États-Unis. Il est pourvu de pieds pour garantir sa stabilité, de mains pour faciliter la sélection des fils pairs ou impairs, d’une tête capable de prendre des photos périodiquement et d’un cœur rechargeable à l’énergie solaire pour garantir son fonctionnement en toutes circonstances.

Loomy à bord de sa navette

Mode opératoire

Son mode opératoire est simple. Il rencontre un artisan A dans un lieu X qui tisse la première moitié de son corps, puis il rencontre un artisan B dans un lieu Y qui tisse la seconde moitié de son corps dans une certaine continuité graphique et technique. Toutes les deux rencontres, il mue à la manière d’un caméléon laissant derrière lui une trace tissée de son passage. Au cours d’une aventure dans l’Himalaya, Loomy a tissé des liens avec 23 tisserandes laissant derrière lui 10 pièces tissées métissées. Son autonomie lui permet de prendre des photos périodiquement.

Loomy en train de tisser des liens avec des tisserandes de la communauté Drokpa à Dha (Ladakh, Inde)
Première moitié du tissage réalisée à Stok (Ladakh, Inde)
Seconde moitié du tissage réalisée à Dha (Ladakh, Inde)
Image capturée par l’œil électronique de Loomy

Aura

Lors de cette première aventure, Loomy, "Homo Reciprocans", fut interviewé par le magazine indien Terrascape. Cette interpénétration de la réalité dans la fiction et de la fiction dans la réalité est apparue comme un axe anthropologique et méthodologique prometteur pour de futures recherches parce qu’il offre des opportunités inédites et promet des résultats surprenants et innovants.

Interview de Loomy par le magazine Terrascape en 2014

Fiction : les découvertes d'un anthropologue du futur

Tout a commencé par la découverte d’une fresque rupestre sur les parois du Horseshoe Canyon (Canada) réalisée il y a entre 1000 et 2000 ans. Les personnages représentés ont une ressemblance troublante avec Loomy.

D’autres recherches nous ont permis de mettre en évidence des silhouettes similaires dans d’autres régions du monde appartenant à différentes temporalités. La plus remarquable est un pétroglyphe retrouvé dans la vallée de l'Ourika (Haut Atlas, Maroc) qui aurait été gravé au premier ou deuxième millénaire av. J.-C. Le corps du message n’est pas sans rappeler une carte et présente un style similaire à la Carte de Bedolina (Vallée de Camonica, Italie). Nous émettons l’hypothèse que la partie éphémère du corps de Loomy est plus qu’un simple tissage. Nous pensons qu’il s’agit d’un message, voire d’une carte, ce que nous appelons un "message-carte".

L’un des personnages de la fresque du Horseshoe Canyon ressemble comme deux gouttes d’eau à Loomy
«Idole cloche» retrouvée à Thèbes (Grèce) - Musée du Louvre, 2003
Pétroglyphe observé dans le Haut Atlas marocain datant du premier ou deuxième millénaire av. J.-C. - Stiedler, 1984

Plus récemment, nous avons mis la main sur des clichés montrant les parties d’un exosquelette démembré entre Turtuk et Dha (Ladakh, Inde) et une peinture témoignant d’un passage récent de Loomy dans l’Himalaya. Ces éléments nous ont été transmis par un anthropologue qui a passé quelques années dans cette région du monde. Celle qui illustre le mieux Loomy est la photographie d’un thangka réalisé à Tabo (Vallée de Spiti, Inde). Nous observons un personnage au corps rectangulaire et tramé vêtu d’un kesa et surplombé d’un objet dont la forme ronde et quadrillée n’est pas sans rappeler une montgolfière. Nous émettons l’hypothèse que l’influence de Loomy aurait pu motiver des compositions visuelles, musicales et olfactives syncrétiques.

Photographie d’un exosquelette démembré découvert au Nord du Ladakh (Inde)
Photographie témoignant du passage de Loomy dans l’Himalaya à bord d’un objet volant ressemblant à une montgolfière

Dans un premier temps, nous souhaitons nous rendre au Maroc, dans le Haut et Moyen Atlas, pour trouver d’autres preuves du passage de Loomy sur Terre. C’est dans cette région du monde que nous avons identifié les preuves les plus convaincantes : les gravures rupestres décrites supra.

De plus, nous avons entendu dire que des individus appartenant au groupe ethnique des Berbères auraient conservé des mues de Loomy, transmises de génération en génération, parce que porteuses d’informations relatives à un "art de la rencontre" indispensable au dynamisme social de ces populations. Ce n’est pas tout, il serait question d’un tissage grand format énigmatique présentant des similitudes graphiques avec les tapis Azilal, Beni Ouarain et Boujad, mais aussi avec les motifs rupestres étudiés. Qu’allons-nous découvrir ? Pourrait-il s’agir de la reproduction d’un message-carte dont nous spéculons l’existence inspirée par une ou plusieurs mues de Loomy ? Son contenu que nous nous emploierons à décrypter était-il adressé aux générations futures ?

Motifs d’inspirations Azilal, Beni Ouarain et Boujad retrouvés sur le message-carte

Réalité : les réalisations d'un anthropologue du passé

Loomy est un artefact de tissage anthropomorphisé "déjà là" conçu en 2014 pour faciliter les rencontres avec les communautés de l’Himalaya pour conduire un projet associatif basé sur la mise en place de collaborations artistiques et artisanales entre l’Himalaya et le Pays Basque.

Nous avons bel et bien découvert des peintures et gravures rupestres qui ont des traits communs avec Loomy. Néanmoins, certaines preuves décrites dans la partie précédente (les œuvres représentant Loomy et le cliché d’un exosquelette démembré) ont été fabriquées au cours de la mission associative. En effet, certains artistes ont intégré le cadre à tisser anthropomorphisé dans leurs peintures, poteries et sculptures, et l’exosquelette démembré était un lot de pièces cassées et de rechange disposées au sol.

Tous ces éléments nous ont toutefois inspirés cette ethno- fiction... au Maroc. Nous allons remettre en service Loomy et concevoir une nouvelle chaîne de tissages le long d’un périple de 2000 kilomètres. En 2023, nous allons traverser la plupart des hauts-lieux du tissage berbère du Haut et Moyen Atlas : Zemmour, Guerrouan, Beni Saddene, Beni Ouarain, Beni Alaham, Aït Seghrouchen, Aït Youssi, Beni Mguild, Zaiane, Aït Yacoub, Tadla, Glaoua, etc. Dès lors, nous espérons tisser au moins 9 mues réunissant 18 tisserands berbères en 90 jours. Le voyage sera fait en Jeep Wrangler spécialement équipée et décorée pour l’occasion.

Principe de fonctionnement de Loomy
Itinéraire de la première partie de l’expédition (2023)
Élément de communication calqué sur la gravure rupestre anthropomorphique observée dans la vallée de l'Ourika

Il ne s’agit plus de partir à la découverte des mondes ancestraux condensés dans les motifs et symboles tissés en explorant les récits des tisserands, mais d’enclencher un processus de resymbolisation à partir de leurs mondes actuels qui s’étendent de leurs souvenirs à leurs espérances, des paysages de leurs parents aux paysages de leurs enfants. Dans ce "présent épais", la transformation rapide et intense de ces mondes et paysages exténue les humains et les non-humains : l’ancien meurt trop vite ; le nouveau ne naît pas assez vite. Malgré tout, de précieuses inspirations émergent de ces mondes et paysages en crise qu’il conviendra de capter. Toutes ces "directions" se rejoignent en un "lieu-milieu" ou "tiers-lieu" - l’âme humaine - mais ne trouvent pas surface d’inscription. Dans cette cosmographie inversée, notre mission sera d’accompagner la mise en motifs de ces directions par le truchement de Loomy. Certains motifs deviendront peut-être les symboles condensant les mondes et paysages en crise actuels... adressés aux anthropologues du futur.

Il ne s’agit pas seulement d’une "surface" d’inscription. Nous collecterons des éléments géographiques (géologie, faune, flore, etc.), verbaux, visuels, sonores et olfactifs pour rendre compte de la réalité vibrant derrière les couleurs, les motifs et les tours de main d’une pièce tissée. Nous serons secondés par Loomy qui, grâce à sa caméra autonome fonctionnant de façon périodique, réalisera quelques centaines de clichés par demi-tissage nous permettant de collecter des données ethnographiques supplémentaires afin de réaliser la cosmographie la plus épaisse possible. Cette recherche est une contribution au concept de "matériologie profonde" en cours de définition.

Cette cosmographie est inversée parce qu’il ne s’agit pas de l’étude des mondes ancestraux via les motifs ou symboles tissés actuels, mais de la conception de motifs ou potentiels futurs symboles à partir des mondes actuels. Le concept de "design cosmographique" sera envisagé.

Schématisation du principe de cosmographie inversée

Dans un deuxième temps, nous nous attaquerons à la réalisation du tissage grand format - à destination des générations futures - réunissant en un seul et même motif cartographique la cosmographie résultant de cette recherche. Trois traditions tisserandes ont été pré-identifiés : Beni Ouarain, Azilal et Boujad. À l’issue de notre premier voyage, d’autres lieux pourront être envisagés. Dans le fond et dans la forme, l’intention n’est pas sans rappeler le Voyager Golden Record embarqué dans les deux sondes spatiales Voyager en 1977 à destination d’éventuels êtres extraterrestres. En effet, le "cosmogramme" repris de la plaque de Pioneer réunit en différents dessins la raie d’émission de l’hydrogène neutre, l’homme et la femme, la sonde, la position relative du Soleil au centre de la galaxie et 14 pulsars, et le système solaire. En supplément, le Voyager Golden Record est chargé de photographies (Terre, planètes, paysages, plantes, animaux, bâtiments, etc.) et d’enregistrements sonores (vent, pluie, vagues, machines, musiques, discours, etc.).

Voyager Golden Record

L’esthétique des données produites doit être cohérente à la temporalité du récit fictif. Si les traces retrouvées sont séculaires, voire millénaires, alors le traitement des données devra tenir compte de ce décalage temporel pour ne pas créer d’incohérence entre le fond et la forme du récit. Pour ce faire, nous aurons recours à des expérimentations "wild tech". Selon Emmanuel Grimaud, Yann Philippe Tastevin et Denis Vidal, "le wild tech renvoie aux manières de fabriquer qui bousculent les codes, redéfinissent ce qu’innover veut dire et parfois échappent à toute classification". Il peut s’agir de mélanges de techniques locales et mondialisées, de technologies simples (low tech) et complexes (high tech), de processus artisanaux et industriels, de savoir-faire situés et experts, d’usages attendus et inattendus, d’éléments "déjà là" ou ordinaires dont l’agencement produit des systèmes extraordinaires dont la valeur n’est pas le degré de sophistication, mais de recomposition dans des contextes sociaux et environnementaux de plus en plus complexes, hétérogènes et instables (wildtechschoolab.com).

Avec l’aide d’un collectif d’artistes, nous menons d’ores et déjà quelques expérimentations. À chaque voyage, l'un d'entre eux occupera le siège passager de la Jeep pour documenter la recherche selon ce cahier des charges.

Cette mise en forme du visage fictif de cette aventure n’est pas sans rappeler les travaux des photographes Nicholas Kahn et Richard Selesnick (Apollo Prophecies), du documentariste William Karel (Opération Lune) et du plasticien Joan Fontcuberta (Sputnik).

Les livrables seront expliqués ultérieurement.

wildtechschoolab / #loomy